jeudi 21 avril 2011

Faire payer la rédaction de ses devis pour ne plus travailler pour rien


Depuis quelques années, on a commencé à se pose une grave question existentielle dans les agences qui fabriquent du voyage sur-mesure : faut-il faire payer nos devis ?

Je recontextualise (le schtroumpf à lunettes emploie toujours cette expression ; j’ai vérifié dans un dictionnaire ; elle n’existe pas. Mais j’aime bien, alors je l’emploie… ça fait savant). Je recontextualise donc : un client vous allèche avec un beau projet à 20 000. (ça change du 14ème séjour à Maurice de la semaine « dans un hôtel sympa, vous voyez ce que je veux dire »… en plus, vous l’aimez bien ce client, il part tous les ans, vous fait un petit debrief à chaque retour (ce qui vous permet d’évaluer la qualité de vos prestations et d’améliorer votre conseil) et vous propose systématiquement de vous rapporter quelque chose « qui vous ferait plaisir » (du coup, vous avez une collection de d’épices marocaines, jordaniennes, mauriciennes à ne savoir qu’en faire…).

Bien sûr, il veut un truc super chiadé qui n’existe dans aucune brochure. Vous ne connaissez pas super bien la destination (forcément, un combiné Bolivie/Pérou/Equateur/Galapagos… une fois que vous avez dit « chemin de l’Inca », « musée de l’Or » et « salar d’Uyuni », vous êtes un peu creuse…). Du coup, vous vous documentez à fond pour ne pas avoir l’air (complètement) idiote. Vous passez des heures à vous creuser la cervelle sur un projet tordu pour lequel vous avez fait appel à six réceptifs.

Au bout de 8 jours de boulot (entre temps, vous avez abattu 1000 autres tâches aussi pointues que chronophages), le projet sur lequel vous a fait plancher le client tient à peu près debout. Vous avez découvert l’existence d’un pass multi-pays en Amérique du Sud (vous vous coucherez moins blonde ce soir). Vous avez rédigé un joli programme qui utilise 4 prestataires différents, qui mêle « expériences d’exceptions », « trésors architecturaux » et « hébergements atypiques ». Du coup, vous avez fantasmé sur un hôtel de sel, vous vous dites que vous marcheriez bien dans le salar d’Uyuni et que nager avec les tortues dans les Galapagos, ça vous ferait vraiment vibrer…

Pendant 8 jours, vous avez fredonné « enfant du soleil, tu parcours la terre, le ciel, cherche ton chemin, c'est ta vie, c'est ton destin, et le jour, la nuit, avec tes deux meilleurs amis, à bord du grand Condor, tu recherches les Cités d'Or » jour et nuit mais il faut retrouver la raison : si le Monsieur signe, vous avez fait gagner plus 4000 € à Big-Boss et vous avez franchi un nouveau pas vers la prime à la performance fantasmée depuis des mois.

Vous envoyez un mail au Monsieur pour lui proposer de prendre rendez-vous à l’agence « à sa meilleure convenance » pour que vous puissiez lui présenter le projet. Il va passer demain vers 13h.

Le lendemain arrive. Vous fredonnez « enfant du soleil » sous la douche et envisagez un sacrifice humain pour conjurer le mauvais sort (le rustre qui a pris le dernier vélib hier soir alors que vous rentriez de chez votre copine Elodie fera l’affaire). Magnanime, vous décidez d’épargner le fâcheux et de simplement porter votre culotte porte-bonheur…

12h55. Le Monsieur du combiné « Bolivie/Pérou/Equateur/Galapagos » arrive. Vous êtes au téléphone mais comme vous avez l’habitude de faire quatre choses à la fois, vous lui souriez aimablement et l’invitez à s’asseoir d’un geste chaleureux. Après les amabilités d’usage, vous expliquez avec passion le déroulé du voyage que vous avez imaginé pour lui : les 4 gros blocs, puis le jour après jour. Vous lui remettez un joli programme en couleurs. Il a l’air très heureux. Vous vous réjouissez de lui donner tant de bonheur. Ça devrait suffire : après tout, le Monsieur est un client fidèle de l’agence.

13h40. Le Monsieur fait mine de prendre congé. Vous l’accompagnez à la porte en faisant des effets de cheveux (une copine attachée de presse vous a appris que le repositionnement de mèche était super important dans une argu’) et vous invitez Monsieur à étudier la propal et à vous recontacter « sous 8 jours » s’il désire que vous apportiez quelques modifications au programme. Ah oui… sous 8 jours, parce que la compagnie (la vilaine…) ne vous a accordé d’option sur les vols que pour 15 jours et le temps que tous les prestataires confirment, vous voyez ce que je veux dire…

Le Monsieur ne va pas attendre 8 jours.

3 jours pour plus tard, vous recevez un e-mail dans lequel il vous « remercie chaleureusement pour l’ensemble des recherches effectuées » et « le sérieux de votre proposition ». Il insiste sur le fait que votre suggestion des deux vols intérieurs en Bolivie est « tout à fait pertinente » (le pauvre s’attendait à faire des jours de route), vous avoue être « vraiment séduit » par l’hôtel de sel… mais (oui, il y a un mais…), il vous remercie de bien vouloir étudier le document excel en pièce jointe.

Vous allez défaillir. Le document excel reprend jour par jour votre proposition et au regard de chaque prestation, le gentil Monsieur a indiqué son prix. Oui, le fourbe s’est servi de votre proposition « si bien construite » pour indiquer les prix qu’il a trouvé tout seul comme un grand sur les sites web des fournisseurs. Ainsi, vous vous rendez compte que votre réceptif en Equateur est systématiquement 10 à 12% plus cher que les hôtels en direct.

Un rien perfide, le Monsieur vous fait remarquer que bien entendu, il n’a pris le temps que de regarder les prix des vols et des hôtels, qu’il comprend que les véhicules avec chauffeur coûtent de l’argent… ainsi que votre « excellent travail », qu’il vous « fait confiance » parce que vous lui avez organisé des voyages parfaits en Egypte, en Jordanie, en Islande, au Maroc et en Espagne, mais qu’il a du mal à imaginer que les véhicules avec chauffeurs puissent coûter près de 8000 € pour les 16 jours où il en a un.

D’autant qu’il a regardé les prix des locations de véhicule sur internet et qu’il vous indique aussi le salaire quotidien d’un chauffeur dans les pays en question. Il vous invite donc à « renégocier vos prix avec vos prestataires » ou « revoir votre marge ».

Je vous épargne les détails, mais vous avez dû remettre votre ouvrage sur le métier (celle expression est délicieuse, j’ai parfois l’impression de vivre au XVIIème siècle) : vous avez négocié ferme avec votre réceptif en Equateur pour qu’il baisse ses prix de près de 20%, changé de fournisseur pour la croisière aux Galapagos (car la première compagnie ne vous accordait que 8% de commission), jeté l’éponge sur la partie « Bolivie » (vous étiez 3 fois plus cher que ce que le client avait « trouvé sur internet »), revu votre marge sur l’aérien et assumé une augmentation de la surcharge fuel d’Iberia.

Bien entendu, vous avez aussi dû lutter contre le Monsieur, justifier de toute la valeur ajoutée qu’apportait l’agence : les paiements échelonnés, la garantie des prestations, l’assistance-rapatriement, le service après-vente etc… mais selon le Monsieur, ça ne justifiait pas toute la différence. Après négo, le Monsieur a signé mais au lieu de gagner 20% sur 21 000 €, vous avez gagné 16% sur 16 000 €, soit à peine plus de la moitié de ce que vous prévoyiez... perdu bien du temps, et vu votre prime à la performance s’éloigner…

Bien entendu, ça n’est pas tous les jours que vous passez autant de temps sur un devis qui englobe plusieurs pays sur lesquels l’agence a un petit volume… Si vous n’avez pas facturé de « frais d’étude » à ce Monsieur, c’est parce que vous n’aviez aucune idée de ce qu’allait coûter son voyage quand il est venu pour la première fois vous parler de son projet.

Je m’explique : Quand un client nous demande un devis « HB » (ça veut dire « hors brochure » et ça comprend tout ce qui n’est pas un simple séjour ou un GIR), on fonctionne ainsi à l’agence :
On lui demande ce qu’il a repéré, on fait une première proposition d'itinéraire oralement (en insistant sur les sites à ne pas manquer), on le conseille au mieux et met en valeur les points forts de ce que l’on peut proposer… et on lui annonce une fourchette de prix. Par exemple « entre 600 et 650 € par personne ».

Si le client veut alors un programme, je prends mon sourire n°4 et lui montre le panneau qui annonce la couleur sur un pilier de l’agence « devis sur mesure : 68 € ».
Si le client s’offusque, je lui rappelle que je lui ai annoncé que « le prix de [son] voyage sera de 600 / 650 € par personne et que si [il veut] une étude détaillée, je la ferai pour 68 € ». Le plus souvent, le « client » finit par me dire qu’il voulait juste un devis « pour voir » et je lui réponds (sourire n°7, le figé) que moi, je ne suis pas là « pour lui montrer » les détails sans engagement de sa part.

Si le « client » est mûr pour s’inscrire et que le budget que je lui ai annoncé lui semble convenable, il signe alors une feuille A4 qui reprend nos conditions de vente et notre « devis d’étude ». Ce formulaire prévoit
- que le client recevra son devis sous 72 heures, (pour ce prix là, on peut bosser vite, c’est la moindre des choses…)
- que si ma cotation dépasse le prix annoncé (ici, 650 € par personne), je lui rendrai son chèque. En plus, du coup, il recevrait un « devis gratuit »,
- que s’il s’inscrit, ce qu’il a payé comme « frais d’étude » sera déduit de sa facture finale,
- qu’une deuxième étude sera (gratuitement) possible à condition que les demandes de modification soit formulées par écrit,

Au départ, ça a surpris. Habitués au « service gratuit », les clients se sont offusqués que l’on facture quelque chose « qui ne coûte rien ». Rien ? Juste du temps… et je vous assure que mon temps, il vaut de l’argent…

Depuis la mise en place de cette procédure de « frais d’étude », on ne réalise presque plus de devis dans le vent. Au moins, les clients nous répondent même s’ils n’achètent pas chez nous (fou le nombre de gens très disponibles pour discuter avec vous au moment de la préparation de leur itinéraire et qui ne vous prennent plus au téléphone quand vous voulez connaître leurs impressions sur le devis envoyé)

Il est assez rare que l’on doive rembourser les frais d’étude parce que le prix annoncé avant étude « au doigt mouillé » n’était pas réaliste, et les clients ont apprécié ce « devis gratuit » ; certains ont même signé…

J’ai réalisé une petite enquête auprès de mes confrères avant d’écrire ce post. Force est de constater que vous êtes frileux dans le fait de facturer des frais d’étude à vos clients. Les principales objections que l’on m’a adressées sont les suivantes :

« D’accord pour un devis payant, mais remboursable en cas d’inscription ». (Fabrice)
Là, je suis d’accord : il ne faut pas que le client ait l’impression de subir une « double peine » : payer pour son devis en plus de payer les marges et commissions de l’agence

« Tout dépend du devis : pourquoi faire payer un devis qui te prendra 5 minutes ? ». (Grégory). Ici aussi, je suis d’accord : on ne facture que les devis sur-mesure dont le calcul et la rédaction prennent du temps : on facture sa valeur ajoutée, pas quelque chose que n’importe qui est capable de faire (gratuitement…) à sa place.

« Faire payer des devis aux clients que l’on ne connaît pas, OK ; mais pas aux clients fidèles de l’agence ». (Tom). Pourquoi pas ? Mais n’oubliez pas qu’un client de l’agence n’est jamais acquis. Et quand vous ne facturez pas un client « fidèle », expliquez-lui que comme vous le connaissez bien, vous ne lui facturerez pas à lui de frais d’étude… qu’il ne tombe pas des nues quand un client « à qui il a conseillé l’agence » s’insurge auprès de lui qu’il lui a été réclamé ces frais. Au contraire, ce bon client peut être une sorte d’éducateur qui va expliquer à ses copains que vous facturez des frais d’étude, mais que votre travail est toujours sérieux et que ces frais ne sont pas bien élevés par rapport à la qualité de votre prestation.

« Les autres agences ne prennent pas de frais d’étude ; je n’aurai plus de clients si je leur demande de payer un devis » (Yann). Ce qui est intéressant, c’est que Yann répond lui-même à sa propre objection quand il ajoute « les mauvais coucheurs sont partis à l’agence d’à côté qui ne facture pas ses devis ; « ceux qui ont accepté de payer mes frais de devis signent à 90% ». Ben oui Yann, faire payer son conseil au préalable permet de faire le tri entre les clients motivés et les curieux. C’est bien notre but à tous, non ?

Et quand je fais signer un client, je me surprends toujours à être extrêmement heureuse… je me permets alors d’esquisser quelques pas de danse sur une jolie chanson… Alors, tous avec moi :
Enfant du soleil, tu parcours la terre, le ciel, cherche ton chemin, c'est ta vie, c'est ton destin, et le jour, la nuit, avec tes deux meilleurs amis, à bord du grand Condor, tu recherches les Cités d'Or (aaah ah ah ah ah Esteban, Zia, Tao, les Cités d'Or) Enfant du soleil, ton destin est sans pareil, l'aventure t'appelle, n'attends pas et cours vers elle (aaah ah ah ah ah Esteban, Zia, Tao, les Cités d'Or)

Nous nous engageons à en retirer l'affichage des paroles de cette chanson en cas de demande des ayant-droits.

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