samedi 17 décembre 2011

Les agents de voyages sont découragés





La semaine dernière, en sirotant un punch coco sur une plage de l’île Maurice, je me faisais cette réflexion : j’ai un métier varié, des horaires de travail un peu tordus (ben oui… l’agence est ouverte 61 heures par semaines, alors on tourne…), je fais de beaux voyages… mais malgré mes primes à la performance et mes heures supp’ défiscalisées, les fins de mois sont difficiles. La faute à la crise ? Même pas… il paraît que « travailler dans le tourisme, c’est mal payé » et que c’est comme ça.

J’avais évoqué le sujet dans un précédent post
: par rapport à nos nombreuses responsabilités (la réussite des vacances de nos clients adorés), on n’est pas payés cher

Je voulais parler des salaires des agents de voyages parce que c’est un sujet qui nous concerne tous. J’ai recherché dans mes souvenirs : des agents de voyages, j’en ai rencontré plein : dans le cadre d’éductours, de formations organisées par mon réseau etc… J’ai complété mes souvenirs par une petite enquête parmi mes amis Facebook et je me suis plongée dans des articles publiés récemment à propos des salaires des agents de voyages.

Globalement, on peut ressortir de cette population, deux portraits robots :

En Province, la salariée d’agence de voyages a dans les 40 ans. Elle travaille dans la même agence depuis des siècles avec deux autres salariées dans le cas d’un agence gérée par un indépendant, souvent seule si elle est dans un mini-réseau (si elle veut prendre une journée de congés, elle doit faire appel au personnel « volant » basé dans un autre point de vente). Malgré ses 15 ans d’expérience, elle touche un bien maigre salaire (genre 1600 € bruts), n’a ni 13ème mois ni part variable, ne part pas en éductour et elle a du mal à joindre les deux bouts. Avec son mari, elle a en général des traites importantes à payer, il faut mettre de l’essence (de plus en plus chère) dans la voiture (et jongler avec les horaires de Monsieur, ceux de Madame et les horaires de la crèche ou des écoles), et c’est pas facile tous les jours.

A Paris, la salariée d’agence de voyages a plutôt dans la trentaine (après, elle jette l’éponge et change de taf). Elle travaille dans son agence depuis un an ou deux et n’hésitera pas à en changer pour 50 euros de plus par mois. En général, elle fait partie d’une équipe de 4 ou 5 personnes si elle est dans une agence indépendante, plutôt de 2 ou 3 dans un mini-réseau (ses rapports hiérarchiques avec sa chef d’agence sont assez souples pour qu’elle puisse caler une demi-journée de congé à peu près quand elle veut). Elle touche un salaire un peu plus élevé que sa collègue de Province (environ 1800 € bruts), souvent agrémenté d’un 13ème mois et/ou de primes si elle atteint des objectifs. Elle part une ou deux fois par an en éductour, souvent pris sur ses vacances. Elle a du mal à joindre les deux bouts : elle est célibataire et les loyers sont tellement chers à Paris qu’elle habite le plus souvent dans un studio parce qu’elle n’a pas les moyens de payer plus cher. Même en dénichant les bons plans shopping, c’est dur. Heureusement, la carte orange est prise en charge à 50% par l’employeur, il y a les cartes de ciné illimité, 1001 sauces pour accommoder les pâtes, les sites d’échange ou d’achat d’occaz’.

Les agents de voyages qui ont répondu à mes questions soulèvent un ras le bol total. Elles semblent découragées, s’inquiètent parce qu’elles voient le portefeuille clients fondre comme neige au soleil. Les clients n’ont plus le sou, comparent ce qu’ils trouvent en agence et ce qu’ils peuvent dénicher sur le net. L’agent de voyages a l’impression de ne plus avoir de valeur ajoutée.

Elle se plaint de la pression de son chef parce qu’elle DOIT atteindre ses objectifs de chiffre. Mais comment faire toujours davantage quand le marché déprime ? Comment faire illusion quand vous ne connaissez rien à la destination que votre client potasse sur le web depuis un mois ? Comment vendre des assurances-annulation quand votre client s’inscrit à D-4 ? Comment prendre des frais d’agence quand les agences web proposent déjà des tarifs inférieurs aux nôtres, sans frais d’agence affichés ?

Alors, l’agent de voyage craque.

Lisa m’a écrit « Marre de ne pas avoir de formations parce que ça n'arrange pas le boss que je m'absente, de pas pouvoir aller à top resa, et de me débrouiller avec la compta à laquelle je ne comprends rien du tout. Marre de ne toucher que (au mieux) 14% de commission, largement rognée par les réductions qu'on doit accorder aux clients si on veut qu'ils signent ou qu'ils ne cassent pas tout dans l'agence. Marre des clients qui ne sont jamais contents (allo ! je vous appelle de mon bateau sur le Nil avec mon portable pour vous dire que c'est inadmissible que le plafond soit si bas ! Je me sens oppressé ! Vous aurez une lettre de mon avocat à mon retour ! Et bien sûr vous me rembourserez cette communication !) Marre d'entendre "oui merci mais j'ai pris sur internet" après 3 relances parce que le client n'a même pas pris la peine de vous dire d'aller vous faire voir chez les Grecs avec votre devis... Marre de tout donner pour sa boite et de s'impliquer comme une folle en sachant que ça sera jamais assez, qu'on ne sait pas vers quoi on va et que la situation ne risque pas de s'arranger, dixit la presse pro et les commerciaux. Voilà pourquoi j'arrête. »

Hélène témoigne : « Quand j’ai appris le métier, les clients entraient chez nous dans l'objectif de découvrir une ville ou un pays. Depuis 5 ans, c'est plus ça : on sert de roue de secours, ils disent acheter chez nous parce qu’ils ne peuvent pas réserver des chambres triples sur le net ou parce seules les agences physiques savent gérer l’après-vente… Maintenant, les clients viennent avec leur ipad pour me montrer les programmes des pure players et me demander de m’aligner. Mon patron me paye bien pour me retenir et m’empêche d’avoir des opportunités de changement. En plus, je ne connais personne : il ne me donne pas les invitations pour les soirées agents de voyages, bloque les propositions d’éductours, filtre les visites de commerciaux… » Hélène termine son message en m’expliquant qu’elle ne veut plus travailler dans ce tourisme.

Lisa et Hélène ne sont que deux exemples parmi tant d’autres. En trois ans, on a détruit 10 000 postes dans notre secteur. Alors on doit être de plus en plus efficaces, performants, commerciaux… Dans mon dernier post
, je vous parlais de Jade qui, à force de stress, a fait un AVC…

Alors, qu’est ce qu’on fait ?

Chez FRAM, on n’a pas voulu se laisser faire. Le 29 novembre, la direction a annoncé aux salariés que leur prime annuelle, payée habituellement le 15 décembre, ne serait pas versée cette année. Pourtant, les actionnaires se sont partagé 17 millions d’€ de dividendes en 2010 et une couche supplémentaire de 3 millions en juillet 2011.

Et le personnel s’est mis en grève. 90% des salariés ont adhéré au mouvement. Le service communication a annoncé que les résa passaient par le B2B et que les carnets de voyages étaient générés automatiquement (ah bon, on peut remplacer les gens par des machines ?) mais les FRAM se sont battus. Je ne sais pas ce qu’ils ont réussi à obtenir mais Georges Colson a foncé à Toulouse négocier… et le travail a repris samedi dernier.

Il est bien rare qu’on entende parler de grève dans notre secteur. Je n’espère qu’une chose : que les salariés de FRAM fassent des émules. Il est temps que nous soyons payés décemment. Le SMIC a augmenté de 2,1 % ce mois ci et le salaire minimum français s’établit désormais à 1393,82 €. Alicia m’écrit « comme je touche 1400 €, mon salaire ne changera pas mais la prochaine fois, le SMIC me rattrapera ».

Le 5 février 2009, le président Sarkozy a suggéré un partage des profits des entreprises en trois tiers : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les salariés, un tiers pour financer les investissements de l'entreprise. Certes, ça n’est qu’une suggestion démago, mais dans les agences, on en est bien loin…

Patron d’agence, il est temps que tu comprennes un truc : si tu as des clients, c’est grâce à tes vendeuses. Si elles n’étaient pas là, ta boutique ne serait rien. Et demain, tes vendeuses peuvent se mettre en grève. Quand on est payées à peine plus que le SMIC, on n’a par grand chose à perdre.

Alors toutes ensembles, enfilons notre t-shirt de Che Guevara, protégeons nous du soleil grâce à une casquette ou un bob offert par nos camarades de FRAM, sirotons un mojito pour nous mettre dans l’ambiance et chantons toutes ensemble :






Tu amor revolucionario

Te conduce a nueva empresa

Donde esperan la firmeza

De tu brazo libertario

Seguirimos a delante

Como cuando te seguimos

Y como Fidel te decimos :

"¡ Hasta Siempre Comandante !"


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