jeudi 5 juillet 2012

Low cost ou prestations haut de gamme ? Léa fait le grand écart


Si je devais définir Big-Boss en un mot, je choisirais « terrain » : il connaît tous les clients de l’agence et pourtant, il n’est jamais là… il passe sa journée « en clientèle ». A part que je vois bien qu’il n’arrive pas bien souvent à l’agence avant 16 heures, je ne comprends pas trop en quoi consistent toutes ses visites…

Ce que je sais, c’est qu’il bichonne nos clients, raconte sa life, fait parler des gens, assure la promo de l’agence et distribue ses cartes de visite. Sa phrase magique, c’est « que vous n’ayez pas d’idée ou que vous ayez un projet de voyage bien précis, appelez à l’agence : on vous fera ça aux petits oignons ».

En tout cas, c’est efficace, parce que quand il passe à l’agence en fin d’après-midi, il nous rapporte des demandes de devis griffonnées sur des nappes en papier ou des dos de cartes de visite. Ce business, il va vraiment le chercher avec ses petits bras musclés

Après, c’est à nous de concrétiser parce que Big-Boss a plein de qualités mais…

- il écrit comme un cochon et les notes qu’il nous rapporte sont illisibles (Jeff a des notions d’égyptologie mais il ne comprend pas les hiéroglyphes de Big-Boss)

- c’est le roi de la tchatche, ce qui est bien joli… mais il n’écoute qu’à moitié nos futurs clients… alors quand on les rappelle pour savoir ce qu’ils veulent, on doit tout recommencer à zéro. Parce que Big-Boss ne pose pas assez de questions.  

- il ne dit jamais non et c’est comme ça qu’on se retrouve le 4 juillet avec une demande toute simple comme « un petit hôtel de charme à moins de 2 heures de vol direct de Paris pour un départ dimanche, retour vendredi, à moins de 400 € par personne » (oui, aux petits oignons, on vous a dit…)

Bon… moi, je me mets à rêver que Big-Boss passe plus de temps à l’agence. Quand il est là toute la journée, (ça lui arrive de temps en temps…), il tripatouille son CRM… je vous ai déjà parlé de ce truc moisi qui est la mémoire de l’agence ! Toutes les demandes, tous les goûts, toutes les coordonnées des gens qui nous ont demandé un truc une fois sont dedans… et c’est très instructif :

Grâce au CRM, Big-Boss connaît tout de la vie de nos clients. Le CRM nous permet de maintenir la demande avec des mailings plus ou moins ciblés…  mais aussi de remarquer plein de trucs. En particulier que « même si le panier moyen n’a pas beaucoup évalué depuis 3 ans, l’écart type s’accroit avec régularité ». C’est pas que je suis vraiment inquiète pour l’écart type qui s’entend mais là, j’ai crié « qu’est-ce que c’est que cette chose ? ». Big-Boss est parti dans des explications tordues mais en gros, ça veut dire qu’on a de plus en plus de clients friqués et de plus en plus de clients qui cherchent du pas cher… et que le milieu, ça ne marche plus (Big-Boss devrait prévenir Bayrou de cette intéressante tendance…)

L’autre jour, pour la fameuse réunion du « bilan du premier semestre », Big-Boss nous a tous réunis à l’île de Ré… on devait faire du vélo et se baigner… mais il a plu tout le week-end, l’air était à 17°  et l’eau genre à 14°. Du coup, on a bossé non stop…

Emmitouflés dans des pulls en laine, on a réfléchi à ce qu’on pouvait faire pour que l’agence (qui stagne depuis deux ans) retrouve la croissance d’antan.

C’est bien beau d’avoir des idées pour imaginer le futur mais déjà… il faudrait comprendre comment marche le présent…  les demandes qu’on a en ce moment me laissent perplexe : j’avoue ne pas bien saisir les clients. La démo de Big-Boss (qui nous a prouvé par A+B que c’était encore plus compliqué que ce qu’on imaginait) ne m’a pas rassurée. Je vous explique…

Tout le mois de juin, il a ressorti des fiches clients de son CRM magique, il a passé des coups de fil, a torturé les clients pour savoir pourquoi on n’entendait plus parler d’eux… bref, il a essayé de comprendre ! Et ce dont on se rend compte, c’est qu’on perd des clients

Je ne parlerai même pas des clients qui disent que « ben non, depuis deux ans, on n’a pas voyagé parce que les temps sont durs » (on imagine mal que depuis 24 mois, les gens travaillent d’arrache-pied et prennent leurs vacances uniquement chez Mémé). Là, j’ai dit à Big-Boss d’aller les voir et de leur faire un procès pour mensonge éhonté s’ils sont bronzés…     

Mais Big-Boss a eu des remarques intéressantes :

« oh vous savez, on a juste fait des petits voyages tout simples, on n’allait pas vous embêter avec ça » (alors non Josette, ça ne m’embête pas du tout de te réserver en 5 minutes un truc que tu as choisi toute seule sur un catalogue moisi reçu par le TO en direct parce qu’on t’a vendu un package de chez eux il y a 3 ans et que quand tu as renvoyé le questionnaire de satisfaction, tu leur as donné ton adresse…)   

« on a réservé sur internet, c’est moins cher ». Alors là, Big-Boss passe deux heures à expliquer que non… tous les canaux ont les mêmes prix et que d’ailleurs… les clients peuvent ne pas se limiter aux pure-players mais faire un tour sur www.bigboss-voyages.fr « parce qu’on a tous à peu près les mêmes offres », que les clients peuvent regarder sans s’engager et ensuite réserver en ligne, en boutique ou au téléphone… ils auront en plus l’assurance de pouvoir nous joindre quand ils veulent et Léa, Sonia, Amandine ou Coralie seront leur unique interlocutrice bla bla bla… 

« oh ben maintenant, avec les low-cost, on se débrouille tous seuls ». Là aussi, Big-Boss monte sur ses grands chevaux, explique que les low-costs ne sont pas forcément moins chers, qu’avec la force d’achat de notre groupement, on a des super conditions avec tout le monde et que tiens, la prochaine fois… comparez ce que vous trouverez sur des compagnies low-costs avec ce que vous vous concocter mes collaboratrices (j’attendais le « aux petits oignons » mais ça n’est pas venu)

Après, Big-Boss nous a demandé de reprendre nos cahiers de suivi clients (eux aussi avaient fait le voyage jusqu’à l’île de Ré) et de noter sur des post-it pourquoi on avait perdu un dossier (post-it jaunes) ou comment on avait réussi à signer des dossiers (post-it de couleur).

Pas facile : Dingue le nombre de gens qui nous ont sorti des prétextes moisis pour me pas confirmer leurs dossiers. Mes trucs préférés, c’est les trucs dramatiques « non, on ne va pas pouvoir partir parce que… heu… ma belle-mère est en train de mourir » (oh, je suis désolée de ce que vous vivez, mais des vacances vous feraient du bien : rien de tel de se retrouver en couple pour vivre quelque chose de positif après une telle épreuve…)

Variantes :

- « je dois subir des examens médicaux ; je suis très fatigué en ce moment » (là, je propose une thalasso ou « un séjour plus tranquille pour ne pas vous fatiguer davantage : changer d’air vous ferait tellement de bien… »)

- « mes vacances ont été refusées » (là, je rappelle 15 jours après pour savoir si de nouvelles dates ont été acceptées et je me retiens d’appeler la DRH de la boite de mon client)     

Non… vraiment… pas facile de savoir pourquoi un client ne confirme pas… Parfois, les clients passent avec des offres de trucs « qu’ils ont vu sur internet ». On arrive en général à démonter le produit auprès du client et à confirmer… mais la plupart du temps, on ne sait pas pourquoi ça ne passe pas… et encore moins comment on fait pour que ça passe… c’est vrai que quand on me dit « vous aviez la meilleure proposition », je rosis un peu mais je ne demande pas à voir celles des autres agences… je devrais…    

En tout cas, avec nos post-it, on a ensuite analysé le pourquoi du comment en les repositionnant sur des paper boards  dans le salon de la maison de Big-Boss (avec vue sur le jardin pluvieux) comme si on faisait un puzzle. Ce qui est beaucoup revenu, c’est qu’on est très souvent positionnés sur des produits haut de gamme et que les gens veulent plutôt des trucs un peu simple mais pas cher. Quitte à sacrifier un peu la qualité pour ne pas dépasser un budget un peu serré...

Mais devons-nous vraiment communiquer sur des produits de base genre « séjours en club de 8J/7N » ou city break sans prestation additionnelle ? J’ai rappelé à Big-Boss que justement, on avait du mal à être compétitifs quand on proposait un truc aussi simple qu’un séjour club ou un city break. Parce que le client fait ses calculs tout seul…

On gagne bien notre vie sur des dossiers sur-mesure chiadés avec de belles prestations, pourquoi se battre sur des week-ends Europe à 250 € ? (on on va gagner au mieux 80 € pour un couple)

Coralie a bien résumé le truc : notre défi, c’est

- de prouver qu’on leur apporte une vraie solution de facilité : un coup de fil et on fait tout le boulot pour eux

- de rassurer les clients en prouvant que comme c’est notre métier, on va  plus vite qu’eux dans les recherches

- de les surprendre en leur proposant des vraies solutions pour agrémenter leurs séjours. (pour ça, même pour un city break, on propose les activités d’Expedia.fr : ça donne plein de bonnes idées pour habiller un programme et en plus, on touche une commission). Ça prend un peu de temps, mais ça augmente le panier moyen… et le client est content parce qu’on lui a mâché le travail.

Bref, on doit être capables de pondre des trucs chadiés sur des longs circuits (qui rapportent une marge indécente) et en même temps, de proposer des trucs simples, carrés, qui donnent envie et qui répondent aux envies des clients à des petits budgets… (et on vend ces trucs là en deux coups de cuiller à pot)

Et là, Sonia a grommelé « ouai, on doit faire le grand écart ». L’expression a beaucoup plu à Big Boss qui a dit « mais c’est exactement ça : répondre à chaque demande avec ce qu’attend le client ». Là, il a sauté partout, poussé des petits cris et nous a fait un schéma avec des feutres de toutes les couleurs pour nos expliquer qu’ « on doit être capables de faire de l’hyper personnalisé comme du low cost »

Et il a posé la question magique : « Allez, dites-moi ce que les clients aiment dans le low-cost ».

J’ai pensé à Nico : C’est frais, c’est facile, c’est flexible, c’est fun, c’est jeune, c’est rigolo et c’est pas cher…

Et là, on a débattu comme des fous. C’était très intéressant… Et Big-Boss est parti dans un délire lyrique : il veut segmenter : et donc séparer la clientèle haut de gamme de la clientèle friande de solutions low-cost.

On avait parlé l’an dernier de prendre un bureau dans l’immeuble au dessus de l’agence pour mettre la compta et les sociétés (on manque cruellement de place à l’agence) mais il veut aller plus loin : sa nouvelle idée, c’est d’ouvrir un deuxième point de vente.  

Notre agence historique deviendrait un espace premium avec atmosphère cozy, déco épuée, et on ne vendrait que des prestations un peu luxe (des séjours dans des beaux hôtels, des itinéraires à la carte, les voyages culturels de Jeff) en redéfinissant la promesse de personnalisation et de disponibilité de l’agence (on demanderait aux clients de prendre rendez-vous, on surveillerait notre langage, on ferait filtrer les appels par une espèce de standardiste etc… Bref, on bosserait dans du coton)

Notre nouveau point de vente « low cost » serait un truc très lumineux, fun, avec des vendeurs décontractés. On utiliserait au maximum les nouvelles technologies (avec incitation aux clients de faire leurs réservations sur le site internet de l’agence) mais avec toujours la promesse d’assistance de vendeurs qui seraient toujours dispo pour aider les clients avant, pendant et après le voyage « des trucs bien, pas chers, aux petits oignons mais avec moins de chi chi autour »    

Dans la rue de l’agence, il y a justement une boucherie qui va bientôt fermer. La reprise du bail coûte des clopinettes, il y a assez d’espace pour que Big-Boss et Isa y aient un bureau chacun et on peut aménager un beau comptoir avec 3 ou 4 positions de travail. 

Du coup, dans notre agence, on serait moins entassés, on pourrait aménager des bureaux individuels pour recevoir nos clients en toute confidentialité.

Bref, la clientèle friquée de l’agence serait incitée à dépenser encore plus dans un espace propice aux produits haut de gamme et la clientèle qui cherche des voyages « au meilleur rapport qualité prix » trouverait son bonheur dans le point de vente low cost où ils achèteraient des voyages en restant debout ou en utilisant le site web de l’agence.   

Si vraiment, la clientèle moyen de gamme disparaît et que les extrêmes se développent, l’agence Thomas Cook qui est en face de chez nous n’a qu’à bien se tenir… parce qu’on va tout récupérer… Mon Big-Boss est un génie. Il aurait dû proposer ses services au Modem ! 

Parce que si le marché du milieu n’existe plus, il aurait pu conseiller à Bayrou de se repositionner ou de jeter l’éponge ; ça lui aurait évité une taule aux élections présidentielles… 

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