jeudi 16 janvier 2014

Léa n'est pas là pour ajouter une petite touche pro à un voyage de base moisi

Un samedi après-midi plutôt calme chez Big-Boss Voyages : les Parisiens vomissent leurs tripes se remettent tout doucement des excès des réveillons, les boutiques de fringues ont entamé les soldes dites « privées » et les gens n’ont pas comme priorité essentielle de penser à leurs prochaines vacances (c’est dommage parce que là, on peut encore trouver à peu près ce qu’on veut, même pour la première semaine d’août…)

Bref, c’est à ce moment-là qu’arrive un e-mail comme on en reçoit trop souvent :
« Bonjour, nous partons avec ma femme à [=çè$*é&] du 15 au 19 janvier. Je vous contacte aujourd’hui pour acheter l’excursion « marché et cours de cuisine » et les soins du corps que vous proposez sur votre site et qui nous intéressent beaucoup. Nous avons notre vol et notre hôtel sur place. Je vous remercie par avance de votre retour. Bien cordialement »  

Normalement, quand je reçois ce genre de mail, je le mets directement à la poubelle.

Big-Boss Voyages n’a en effet pas vocation à perdre de temps à vendre des bouts de miettes et assurer le dépannage des clients versatiles et opportunistes. Au risque de paraître prétentieuse, ambitieuse ou fière (mes fans rayeront les éventuelles mentions inutiles, mes détracteurs n’en rayeront pas et s’en donneront à cœur-joie), je n’ai pas très envie d’éditer des factures à 180 € (même avec un taux de marge jugé indécent de 25 ou 30% puisque c’est ainsi que chez Big-Boss Voyages, on marge les dossiers sur les destinations où on a une vraie expertise et des prix d’achat défiant toute concurrence).

Comme je l’expliquais ci-dessus, c’était tout calme à l’agence samedi et je me sentais d’humeur badine :

Toi, Monsieur, je vais t’apprendre la vie. Je me suis donc fendue d’un petit mail pour expliquer à ce fâcheux personnage à quoi servait une agence de voyages (monter des voyages) plutôt que de détruire son mail ou de l’envoyer balader « gentiment » : je me suis dit que si on expliquait aux gens qu’on voulait faire respecter notre travail, on y arriverait peut-être... parce que répondre juste « on fait pas » nous assure la question suivante « c’est quoi ces incapables ? ils servent à quoi ? »

Ma réponse, donc :
« Cher Monsieur,
Merci pour votre e-mail et votre intérêt pour Big-Boss Voyages. Me demander cette prestation, c’est comme si vous veniez voir un bijoutier avec une montre récemment achetée ailleurs et que vous lui demandiez de vous vendre une pile. Nous réservons nos petites adresses et expériences inédites à nos clients (= ceux qui nous achètent un séjour). Nous vous invitons à demander au prestataire auquel vous avez acheté votre vol et votre hôtel s’il ne peut pas vous proposer d’excursion(s). Si sa réponse est « non », je vous invite à remettre en cause ses compétences et donc son professionnalisme. Bien à vous ».

En fait, l’image du bijoutier qui vend des montres à plusieurs centaines d’euros mais à qui ce Monsieur achèterait juste une pile n’était peut-être pas la meilleure. Après réflexion, j’aurais plutôt dû prendre celle du restaurateur chez qui il aurait débarqué avec sa bouffe et à qui il aurait demandé un café. J’y penserai la prochaine fois.  

Bref, je lisais récemment une étude magique on où expliquait que le client-voyageur n’était plus multi-canal (définition : qui se sert via plusieurs canaux) mais omni-canal (traduction : qui se sert via tous les canaux). La belle affaire. Comme si je n’avais pas remarqué que (certains de) mes clients arrivaient à l’agence avec leurs vols Easyjet réservés, des brochures prises chez des concurrents et des impressions de pages web.

Bien souvent, dans ce contexte, leur demande, c’est « vous pouvez me dégrossir tout ça ? » et je le fais bien volontiers : expliquer ce qu’il y a de bon et de moins bon dans une destination, montrer au client qu’on a des compétences, attirer son attention sur les pièges à éviter, bâtir un programme équilibré, enchanter le client, c’est un beau métier.    

Les conseillers-voyage de Big-Boss Voyage (et sans doute un peu partout en France) prennent donc ces petites pièces de puzzle, analysent, découpent, réinventent et construisent des voyages complets. Nous n’avons pas en revanche très envie de servir de bouche-trou ou de rustine, voire de réparateur des bêtises des autres…

Pour être complète (et honnête), j’avoue qu’il m’arrive parfois de vendre des prestations par petits bouts : 

c’est le cas quand des compagnies aériennes font des ventes « flash » : Air France et les compagnies du golfe en particulier font ça très bien : « 8 jours pour acheter ; 8 mois pour voyager ». Dans ces cas-là, on bloque les vols, on les encaisse  (souvent seulement partiellement, ce qui permet de montrer au client qu’on n’est pas une machine bornée : « je n’ai pas besoin de tout le paiement : on ne paye la compagnie que le 15 du mois prochain, vous voulez me faire deux chèques ? »), on indique aux clients que « ça, c’est sécurisé » et on les invite à réserver le terrestre rapido « vous savez, plus on réserve tôt, plus on a le choix et plus les tarifs sont intéressants ».

En plus, chez Big-Boss Voyages, dans environ 20 à 30% des cas, les clients achètent leurs vols tous seuls et en plus, ils se justifient : « vous savez Léa, Air France faisait une promo » ou « mes miles allaient expirer ». 

Dans ce cas-là, je souris, mais je me prive rarement d’une petite remarque perfide « ah, zut… vous avez acheté un Paris-Bangkok aller-retour. Moi, je vous aurais proposé un Paris/Bangkok à l’aller et un Phuket/Paris au retour. Mais c’est pas grave : je vais vous arranger ça : je vais être obligée de vous vendre un vol intérieur de plus mais on va vous trouver une solution ». Ne pas hésiter à ajouter « ah oui, les vols pas chers arrivent à l’ancien aéroport de Bangkok alors je vais être obligée de prendre au moins 5 heures de battement pour le changement d’aéroport. Je suis désolée, ça vous mange presque une journée de vacances. Sinon, j’ai bien une autre solution qui arrive à Suvarnabhumi, mais y’a quand même un supplément de 90 €. Qu’est-ce qu’on fait ? ».   

C’est tout l’intérêt de renseigner les profils-clients dans la base CRM de Big-Boss Voyages. 

C’est un peu relou mais on écrit des trucs genre « indiqué au pax NN nous consulter avant achat billets-primes AF. Exp achat vols dom suppl Thai ISO CDGBKK/HTKCDG – Léa 4 JAN  2014 » comme ça, on lui replace l’année suivante « bon, on va bien penser à la façon d’organiser le circuit pour optimiser les temps de trajet et faire une boucle. Je vous montre sur la carte »  

Le truc avec le multi-canal, c’est que j’avoue ne pas traiter de la même façon 
- le client qui m’envoie un e-mail de 3 lignes (surtout quand je vois 50 agences dans la liste dans le champ « destinataires » de l’e-mail) du style « nous cherchons [tel type de voyage], faites-nous des propositions »
- celui qui fait la démarche un peu plus personnelle de décrocher son téléphone (même si il dit « j’ai pas trop de temps pour discuter au téléphone, hein, Mademoiselle… »)  et 
- celui qui pousse la porte de l’agence (celui-là, on peut quand même se dire qu’il est un poil motivé par l’organisation de son voyage)

Samedi, quand j’ai raconté cette anecdote sur facebook, mon statut a été liké 200 fois. Nombre d’agents de voyages m’ont indiqué que j’en avais une belle paire pour avoir osé. Quelques-uns m’ont écrit « moi, j’écris un truc comme ça, je me fais virer ; alors je me contente de le faire comprendre avec des mots choisis, et uniquement à l’oral ». 


Ah oui ? Je suis pourtant certaine que vos patrons vous féliciteraient de ne pas perdre de temps avec ce type de demandes. 

Quelques-uns font remarquer qu’avec la patience de démontrer par A + B sa valeur ajoutée et l’amabilité de vendre une petite presta, ils peuvent tenter de convaincre puis de fidéliser un client. OK. Sur le papier, respect ! Je le fais sans hésiter quand les clients poussent la porte de l’agence, mais pas pour ceux qui envoient (juste) un mail.

Est-ce le début de la fin de mon enthousiasme professionnel ? Suis-je du côté obscur du métier : sans doute suis-je désormais une vieille aigrie, mais je cherche juste à faire respecter mon travail. Je suis une vendeuse, une technicienne, une créatrice, une assembleuse, ce que vous voulez. Mais pas juste une magicienne qui vend une presta quelques dizaine d’euros pour faire en sorte qu’un voyage banal dont 90% du prix a été acheté ailleurs devienne une expérience réussie.   

D’autant plus que ce genre de clients sans scrupule, c’est le premier à te faire des sales après-vente en arguant que le vol était en retard et/ou l’hôtel bruyant / douteux / mal situé etc… (rayez toujours les mentions inutiles). Quand je reçois ce genre de réclamation, je blêmis (surtout que je ne me souviens pas avoir vendu l’hôtel X) et après recherches, je me fais un plaisir de répondre que « chez Big-Boss Voyages, nous opérons une sélection très minutieuse des hébergements avec qui nous travaillons et cet établissement ne fait pas partie de notre catalogue » (et pan, dans ta face…)


samedi 4 janvier 2014

Pourquoi les agences de voyages sont-elles perçues comme ringardes ?

Un samedi soir normal sur la planète. Un petit bar dans le quartier de la Haute-Roquette (à côté de la coloc des princesses), où ma bande a ses habitudes. Quelques verres, des copains de copains qui arrivent et qui s’agrègent à notre petit groupe. Je pétassais babillais avec mes ex-coloc et leur racontais la dernière de l’un de mes clients (mes copines raffolent de mes anecdotes d’agent de voyages).

Une sombre histoire de géographie : un type m’avait demandé un billet « pour Montréal » (je le lui avais vendu) et il était revenu le lendemain parce que je ne lui avais pas posé la question « vous êtes sûr que vous voulez aller à Montréal ? Parce que vous savez, il y a d’autres aéroports au Canada »

Effectivement, le connard type voulait aller à Vancouver mais il pensait que c’était à une heure de route de Montréal (parfois, je me demande ce que les gens faisaient à l’école au lieu d’écouter la maîtresse…)


Et là, une fille que je ne connaissais pas sort sa langue de la bouche de mon pote Vincent et me demande « qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
- je suis agent de voyages
- c’est quoi, ce job ? 
- ben… je vends des voyages 
- dans une agence de voyages ?
- ben oui
- ça existe encore, ça ? »


Elle a commencé une longue tirade sur les derniers voyages qu’elle avait organisés toute seule grâce à tripadvisor, à coup de compagnies low cost et de booking.com et à la fin de son discours, elle porta l’estocade finale : « à l’heure internet, [elle disait ça comme si j’avais une tête à dénicher les bons plans que j’allais proposer à mes clients sur 3615 DEGRIF], vous servez à quoi ? C’est quoi la clientèle des agences ? Des vieux qui ne savent pas allumer un ordi ? ».

Je dois avouer qu’une certaine part de notre clientèle, (en particulier celle de Jeff, qui vend des voyages culturel un poil relous à des vieux) ne se renouvelle pas vraiment, mais j’ai décidé de passer sous silence la pyramide des âges de la population de notre base CRM.

J’ai soupiré, enfilé ma cape invisible de super-agent de voyages sauveuse de la profession et je me suis lancée à mon tour dans un long discours à coup d’expertise-produit, de réassurance, de responsabilité et de garantie des fonds déposés, bref… vous connaissez la chanson.

Et bien sûr (vous connaissez aussi cette chanson-là), la fille me balance « c’est bien gentil tout ce que tu racontes, mais sur internet, c’est quand même vachement moins cher ».

On était samedi soir, mais comme j’avais juste un poisson-papillotte, des légumes, une demi-bouteille de Badoit et 2 virgin mojitos dans le ventre (en ce moment, je suis crevée, alors je suis la sobriété incarnée), j’avais toute ma tête et j’étais prête à me battre. J’ai regardé cette fille (et là, je me suis rendue compte qu’elle me ressemblait comme une sœur) et j’ai senti que j’allais craquer. 

On est en décembre et franchement, je n’en peux plus. J’ai juste dit à la fille, « c’est une idée reçue. La prochaine fois que tu veux réserver un voyage, appelle-moi avant de faire n’importe quoi ; Vince te filera mon numéro. Excuse-moi, mais j’ai vraiment besoin d’aller faire pipi ».

J’ai fendu la foule du bar et je ne suis pas allée aux toilettes : je suis sortie, j’ai respiré un grand coup, je sentais l’air frais remplir mes poumons mais pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie mal, très mal.

Dans le bar, les gens parlaient, riaient, s’embrassaient, bref : ils vivaient. Et moi, je me suis sentie à moitié morte. J’étais à deux pas de mon ancienne coloc, je savais que les filles étaient toutes au bar et qu’il n’y avait donc personne « à la maison ». Facile, j’ai encore les clés, j’allais pourvoir me replier  dans la solitude et le silence.

Pour ne pas qu’ils s’inquiètent, j’ai fait un SMS collectif à mes ex-coloc et Nico « trop de bruit. Un peu mal à la tête. Je me pose à la coloc et je reviens dans 15/30 mn. A tout’ ». J’ai traversé la rue, monté les 3 étages et j’ai fondu en larmes.

SMS de Nico « j’arrive ». Moi « non, reste. Back soon ».

J’avais l’impression que la terre avait brusquement arrêté de tourner. Depuis 2004 que je kiffe ma life chez Big-Boss Voyages, je fais mon  job avec passion, je défends mes parts de marché bec et French manucure, je me bats sur chaque dossier, m’applique sur chaque itinéraire, bosse tard et surveille mes queues. Mes clients sont souvent enchantés par mes propositions et fidèles. Je marge mes dossiers selon la politique de Big-Boss, j’ai un taux de transformation de 80%, j’adore mes collègues et l’agence marche bien.

Depuis près de dix ans, je vis dans une boite de rêve. Big-Boss voyages a toujours eu un temps d’avance sur les autres agences : pas de brochure, 80% du CA tourisme en fabrication sur-mesure, devis payants, segmentation clientèle pointue grâce à un CRM de la mort qui tue. 

Belle clientèle, beaux dossiers, Big-Boss voyages se porte comme un charme.

Mais la copine de Vince avait résumé en peu de mots la situation : mon job est devenu has-been. Un jour, quelqu’un a décrété que pour vendre un billet d’avion, prendre 10 € était trop cher. Que pour réserver ses vacances, 3 clics suffisaient et que les agents de voyages étaient inutiles, voire ringard. Que la valeur d’une semaine en Thaïlande, c’était 799 € et que n’importe quelle destination de l’Océan Indien se négociait à 999 €. Que la croisière pouvait devenir mainstream. Que les meilleurs négo étaient sur groupon et que le luxe au meilleur prix, c’était sur voyage-privé et pas ailleurs. Que pour un voyage sur-mesure, rien ne valait les conseils avisés d’un « agent local ». 

Ravis de s’être débrouillés tout seuls et convaincus d’avoir fait une affaire, les candidats au voyage discount sont désenchantés lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne réussissent pas à joindre les call-centres des OTA sur leurs numéros surtaxés (ce qui est quand même bien utile quand il y a un bug), quand ils se retrouvent dans des hôtels pourris (en long-courrier à 799 € TTC la semaine, ils s’attendaient sérieusement à un service 5* ?), quand les excursions coûtent plus cher que la croisière discount, ou que « l’agent local » leur a vendu un truc préfabriqué qui, en fait, ne correspondait pas à ce qu’ils cherchaient (ben non, l’agent local ne peut pas reformuler les attentes d’un client s’il a juste un mail de 4 lignes et qu’il ne possède de toute façon que des rudiments de français).

Avec la copine de Vince, j’avais l’impression d’être Don Quichotte qui se battait contre des moulins. Soyons honnête : on ne voit plus de trentenaires dans les agences de voyages. La génération Y ne pousse plus nos portes. Elle attrape juste une tablette.

Si cette fille s’est étonnée que les agences de voyages existent encore, c’est parce que nous n’avons pas su convaincre la « jeune génération » (la mienne) du bien fondé de notre existence. J’étais là, comme une âme en peine affalée sur le canapé où d’habitude, je glousse avec mes copines, à me lamenter sur le triste sort des agents de voyages.

Alors je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour la profession en général. Qui peut faire ce boulot ? A mon humble avis, c’est le rôle du SNAV et de personne d’autre.

A la radio, on entend tout le temps des pubs du genre « le changement d’heure, c’est le moment de changer de montre » (financées par le syndicat des horlogers), « la vaisselle c’est comme la mode : c’est bien quand ça change » (avec les 4 notes insupportables « les aaaaarts de la taaaable »), mais rien pour les agences de voyages. Chacun tire la couverture à soi (Mister Cook, tais-toi… Mango, tu es à peine né que tu m’énerves déjà)          

Au SNAV, plutôt que de se regarder le nombril, on ferait mieux de se bouger le boule.

Chez les têtes de réseau, chacun pourrait mettre la main à la poche pour une contribution exceptionnelle au rayonnement de la profession (ça serait de l’investissement utile, non ?)

Et je suis certaine que les TO auraient plus d’intérêt à financer (partiellement) cette campagne destinée à faire entrer des clients dans les agences plutôt qu’à surenchérir en campagnes google-adwords ou financer à fonds perdus les congrès des réseaux.

Moi, je suis fauchée. Mais si chacun doit mettre un peu de son énergie et de son temps au service du rayonnement de la profession, je suis prête à me sacrifier pour incarner the agent de voyages de la prochaine campagne pour les agences de voyages qui passera à la télé. En maillot de bains derrière mon comptoir… ça devrait suffire pour faire entrer un peu de monde dans les agences…



Forte de cette idée lumineuse (qui ne manquera pas d’arriver sur le bureau de Georges Colson grâce à l’audience de TourMaG.com), je me suis ressaisie et je suis redescendue danser. Et la prochaine fois que je rencontrerai une fille comme Cruella (qui réserve ses vacances sur des compagnies low-cost et booking) elle ne me demandera pas ce que je fais dans la vie, elle me dira juste « je t’ai vue à la télé toi, tu es la nouvelle génération d’agent de voyages ».
Ben oui…